Le 9 février, Emmanuelle Hervé était invitée sur le plateau de LCI pour partager son analyse « à chaud » de la gestion de la polémique par Nicolas Hulot et les journalistes d’Ebdo.
Rappel des faits
Le 9 février 2018, une enquête publiée dans le journal Ebdo, le nouvel hebdomadaire dirigé par Patrick de Saint-Exupéry, révèle des informations compromettantes sur le passé de Nicolas Hulot. Sur huit pages, le journal évoque deux cas distincts.
Le premier remonte à l’été 1997, lors duquel Nicolas Hulot aurait abusé, dans l’une de ses maisons, de Pascale Mitterrand, l’une des petites-filles de l’ancien président de la République François Mitterrand. Celle-ci porte plainte en 2008, mais la plainte sera classée sans suite par le parquet de Saint-Malo pour cause de prescription et de manque de preuves évidentes face aux deux versions opposées de Nicolas Hulot et Pascale Mitterrand.
Le second cas concerne une ancienne salariée de la Fondation Hulot qui avait été entendue dans le cadre de l’enquête à l’encontre de Denis Baupin, ancien député d’Europe-Ecologie-Les-Verts (EELV). L’ex-salariée avait avancé des faits de harcèlements de la part d’un ancien employeur, que plusieurs personnes au sein d’EELV soupçonnent être Nicolas Hulot.
L’opinion publique stupéfaite par l’affaire Hulot
Plusieurs facteurs clés contribuent à la forte médiatisation de cette affaire dont les français vont suivre les rebondissements à l’image d’un feuilleton.
Tout d’abord, en raison du protagoniste principal qu’elle met en scène. Nicolas Hulot, figure bien connue des combats en faveur de l’écologie, animateur vedette d’Ushuaïa Nature sur TF1 pendant plus de 10 ans et actuel ministre d’Etat, est une personnalité connue et appréciée de l’opinion publique. Les accusations dont il fait l’objet créent une onde de choc dans l’opinion publique car elles sont en désaccord total avec l’image très positive de Nicolas Hulot.
D’autre part, le contexte sociétal actuel est favorable à la définition des violences sexuelles comme enjeu public et trouve toute sa résonnance dans les médias mainstream et les médias sociaux. Au début du mois d’octobre, l’émergence des mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc sur les médias sociaux ont permis aux voix de femmes victimes de viols et de harcèlement, longtemps condamnées au silence par la peur et la honte, de s’exprimer librement. Enfin, le dernier facteur de médiatisation se cristallise dans l’incarnation de Nicolas Hulot comme personnage politique. Certains s’insurgent contre l’impunité des puissants. Ainsi, c’est dans cette perspective qu’est publié en mai 2015 L’impunité, c’est fini dans le Journal Du Dimanche. Ce texte, rédigé par 17 femmes politiques dont Rama Yade, Nathalie Kosciusko-Morizet, Fleur Pellerin, Dominique Voynet, Catherine Trautmann ou encore Valérie Pécresse, propose de mettre un terme à la loi du silence et de punir les comportements scandaleux des hommes politiques.
Le fort intérêt de l’opinion publique pour cette affaire s’observe particulièrement sur les médias sociaux et notamment sur Twitter qui compte plus de 32 000 tweets le jour de la publication de l’enquête et plus de 150.000 tweets au cours de la semaine qui suit l’évènement. La tourmente de l’opinion publique se manifeste dans les réactions sur les réseaux sociaux où sont partagés ceux qui soutiennent Nicolas Hulot face aux médias « assassins » et ceux qui s’insurgent contre l’impunité des puissants.
Cette affaire, bien plus qu’une simple polémique très médiatisée, est un laboratoire d’observation de gestion de crise réputationnelle et des stratégies mises en œuvre pour préserver ce précieux capital.
Le déminage de Nicolas Hulot, une stratégie de communication gagnante ?
Face aux accusations, le ministre de la transition écologique fait le choix de laisser le moins de place possible à la suspicion et adopte une attitude proactive. Dans ce qui ressemble à une opération déminage similaire à celle de Gérard Darmanin, qui avait lui aussi anticipé les révélations du Monde en évoquant de lui-même sur France Info les accusations de viol, Nicolas Hulot contacte la veille de la publication d’Ebdo le journaliste Jean-Jacques Bourdin pour participer à son émission matinale diffusée sur RMC et BFM TV. A travers cette initiative, Nicolas Hulot choisit de sortir lui-même l’information plutôt que de le subir. Il peut ainsi maîtriser son discours et l’orienter en sa faveur avant de ne plus être audible dans le bruit médiatique. Cette stratégie de communication de crise, appelée le « cadrage » consiste à susciter l’adhésion de l’opinion publique en proposant sa propre version des faits. Ainsi, après avoir nié tout harcèlement sexuel, il a joué la carte de la transparence en reconnaissant l’existence de la plainte en 2008 et insisté sur la décision rendue par la justice.
Nicolas Hulot double sa stratégie de communication proactive, d’une stratégie de victimisation. Lors de son interview, il teinte son discours d’émotion et adopte la posture du souffre-douleur sur lequel s’acharnent Ebdo sans fondements. Il s’arme du champ lexical de la blessure et du déchirement pour susciter l’empathie, puis invoque l’image de la famille et des enfants : « ça fait mal, quand c’est injuste, quand c’est infondé, car moi hier on a fait pleurer mes enfants ».
Enfin, Nicolas Hulot adopte une stratégie de communication performative. Son discours sort du strict cadre linguistique, pour passer à l’action : Nicolas Hulot porte plainte pour diffamation contre le journal.
Ces stratégies s’avèrent payantes et assurent le soutien d’une partie de l’opinion publique à Nicolas Hulot. Néanmoins, après les révélations sur son patrimoine ou sa maison en Corse, cette affaire vient fragiliser son image. De plus en plus assimilé à la classe politique en laquelle les Français n’ont plus confiance, le soutien du gouvernement n’apparaît plus forcément comme un argument en sa faveur. En effet, en janvier 2018, le Baromètre de la confiance politique réalisé par Science Po, présente des résultats édifiants. Environ 76% des personnes interrogées disent ressentir des sentiments négatifs envers le milieu politique notamment de la méfiance, du dégoût voir de la peur.
Une prise de risque qui peut coûter cher à l’Ebdo.
Entre rumeurs et certitudes, les journalistes d’Ebdo jouent leur réputation sur un coup de poker en publiant cette enquête. En effet, si la plainte de 2008 contre Nicolas Hulot existe bel et bien, rien ne vient prouver la véracité des faits relatifs à la seconde accusation, bien au contraire. La femme concernée déclare même lors d’une interview au Point : « Je démens formellement les rumeurs me concernant. Je n’ai aucun commentaire à faire sur une affaire qui n’en est pas une ». Ainsi, s’il a été démontré à maintes reprises que les réseaux sociaux sont le terreau fertile de la propagation de rumeurs et de fake news, la publication d’une telle information dans Ebdo, est bien plus surprenante. Le directeur de la publication, Patrick de Saint-Exupéry est un journaliste de renom ayant déjà écrit pour des journaux réputés comme Le Figaro ou L’Express.
Alors qu’Ebdo se présente comme « un remède contre le chaos de l’information en continu », cette enquête, en plus d’embrouiller les esprits, jette le discrédit sur le jeune journal. Après s’être mis à dos une partie de l’opinion, Ebdo est moqué par ses confrères journalistes à l’instar du Canard Enchaîné qui n’hésite pas à tourner en ridicule le jeune journal sur un ton sarcastique : « Les fondateurs du nouveau magazine Ebdo avaient prévenu : libres de toutes attaches publicitaires, ils allaient donner une leçon de journalisme. La démonstration a été éclair » écrit Christophe Nobili dans son éditorial.
Face aux accusations de racolage et de manque de rigueur, Patrick de Saint-Exupéry défend Ebdo en invoquant l’argument du droit à l’information, même si celle-ci dérange et il s’engage à rendre des comptes à ses lecteurs sur les tenants et les aboutissants de la rédaction de cette enquête.
Ainsi, après à peine un mois d’existence, la petite réputation d’Ebdo se trouve déjà en danger, ce qui laisse présager un avenir bien incertain pour le jeune hebdomadaire.
Ce qu’il faut retenir
La libération de la parole sur les réseaux sociaux est le terreau fertile de la propagation de rumeurs et de fake news.
Dans la dictature de la transparence tout finit par se savoir.
Adopter une stratégie de communication proactive ou de déminage peut s’avérer très efficace pour rester audible lors d’une crise et éviter les rumeurs.
Cette polémique pourrait entacher durablement la réputation du jeune journal Ebdo. On peut aujourd’hui se poser la question de savoir si Ebdo a fait le bon choix.
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